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Un
personnage hors du commun oublié de l'histoire
Il
est d'usage de citer la société bretonne de la fin du XVIIIe siècle comme
«une société à acculturation faible à l'écrit où l'alphabétisation est
retardataire...».
Ce jugement doit être nuancé par quelques exceptions notoires et c'est ce
qui m'a incité à
publier
deux lettres, écrites dans des circonstances exceptionnelles, par le citoyen
Claude. Quénechdu, cultivateur à Callac en 1811.
Claude Quénechdu
naît au bourg de Plusquellec le 7 mars 1769. Ses parents, Claude Quénechdu
et Jeanne Thomas, font partie des paysans aisés de la paroisse. La famille
compte quelques prêtres de bonne renommée: le vieil oncle Pierre Quénechdu
signe les registres paroissiaux pendant plus de soixante ans, de 1660 à 1720
- un record de longévité -, et un autre Pierre Quénechdu dit «le Jeune»,
desservant la paroisse, meurt à 41 ans en 1708. Du côté maternel, sa grand-mère
Françoise Guézennec a, dans sa lignée, trois oncles prêtres avant 1700:
Jean, Jacques et Jérôme Guézennec.
Sur les
recommandations de Guillaume René Armand Floyd, recteur de Plusquellec, il rejoint
vers 1781 ou 1782 le collège de Quimper(2). Celui-ci, de grande réputation,
n'est
plus tenu
par les jésuites depuis leur interdiction d'enseigner par le Parlement en
1762. Il se trouve
en classe de rhétorique dans l'année 1788, comme il le dira plus tard dans
sa lettre. Cette formation n'est pas exceptionnelle à l'époque, il ne fait
que suivre, à quelques années d'intervalle, son petit cousin de douze ans
son aîné, François Abgral1. Celui-ci, fils de Charles Abgrall et de
Jacquette Quénechdu, également né à Plusquellec, en 1757, est déjà
avocat à Quimper; il sera élu député du Finistère au conseil des
Cinq-Cents, le premier prairial de l'An VII, totalement ignoré de sa paroisse.
Claude Quénechdu
rentre à Plusquellec en 1789, ses études terminées. En avril 1790, nous le
retrouvons greffier, il rédige la liste des citoyens actifs de la municipalité
de Plusquellec pour la formation du département. Au mois de juin 1791,
lorsque les rumeurs de guerre commencent à circuler après la fuite du roi
Louis XVI à Varennes, la
Constituante
décide que des bataillons de «volontaires» seraient formés avec des hommes
tirés au sort parmi les Gardes nationaux. Claude Quénechdu, accompagné de
Nicolas Marie Guyot de Callac et d'Yves Marie Brossard de Duault, est
affecté sous le n° 128 le 18 septembre 1791 au 4e bataillon de la Garde
nationale3. Ils rejoignent Rostrenen, puis le bataillon est formé à
Saint-Brieuc.
Sceau du
4e bataillon des Volontaires des Côtes du Nord
(3)
Claude est
un jeune homme d'une belle prestance, d'une taille supérieure à la moyenne,
il mesure 5 pieds, 4 pouces et 6 lignes, soit 1 mètre 76 environ
(4).
Sur 169
bataillons, 60 seulement peuvent être organisés, ces troupes médiocres élisaient
leurs cadres et étaient distinctes de l'armée de ligne et portaient un
uniforme différent. Claude Quénechdu se retrouve ainsi élu par ses pairs,
capitaine de la se compagnie du 4e bataillon des Volontaires des Côtes-du-
Nord.
Notre
capitaine est toujours sous les armes lorsque la Législative déclare le Il
juillet 1792 «la Patrie en danger» et ordonne la levée de 50 000 hommes
nouveaux de la Garde nationale. Ces «volontaires» de l'An 1 ne furent pas
non plus incorporés à l'armée de ligne. La loi les autorisait à quitter
les armées au premier décembre de chaque année, beaucoup rentrèrent dans leur
foyer dès la fin de 1792.
Claude Quénechdu
dut en profiter car les gendarmes de Callac durent se rendre à Plusquellec le
20 octobre 1793 afin de porter une réquisition aux citoyens Claude Quénechdu
de Kerdiriou, Corentin Beaudoin de Lestrédiec et Mathieu Le Bourhis de
Hellaouet avec ordre de se rendre à Callac, puis de se diriger sur Corlay et
Rostrenen.
Il reste au
4e bataillon de 1792 à Thermidor de l'An IV (fin juillet 1796), date à
laquelle il fut démissionné par le général Hoche, mais nous n'en
connaissons pas la raison. Ces bataillons de volontaires ont laissé peu
d'archives et il est difficile de suivre les pérégrinations de Claude
pendant ces quatre années. D'après les généraux sous lesquels il sert,
nous pouvons le suivre dans l'armée de l'Ouest avec laquelle il combat à
Nantes, Torfou et Pontorson contre les Vendéens.
Claude Quénechdu
revient donc à Plusquellec vers la fin de juillet 1796 sous le Directoire et
au cours de la Constitution de l'An III. Il a maintenant 27 ans révolus et
convole en justes noces à Callac, le 3 Fructidor An V (21 août 1797) avec
Anne- Marie Yvonne Huitorel et vient s'établir au village de Restellou
Tanguy. Il
fait profession de cultivateur et nous le
retrouvons
en 1803 à la municipalité de Callac. Il est électeur au collège
d'arrondissement
aux élections
de l'An XI et est mentionné comme militaire, agent et adjoint municipal, marié
avec trois enfants. Ses revenus annuels sont évalués à 30.000 francs. Peu
après, ses états de service lui font obtenir un poste de receveur de
contributions directes, poste plus qu 'honorifique qui lui fait franchir une
autre étape dans l'échelle sociale. Lors de la vente des biens nationaux, il
représente la municipalité au cours de la vente du convenant du manoir de
Kernormand à Yves Guillaume Gouranton, tenancier du lieu.
Mais Claude
avait-il pris quelques mauvais penchants aux armées ou des déboires
conjugaux l'avaient-il poussé à la boisson? Nul ne le sait, mais son
comportement apparaît de plus en plus anormal au cours de l'année 1810. Les
crises d'éthylisme alternent avec des accès de démence aigus. A
Saint-Brieuc, début décembre 1810, on le retrouve parcourant les rues dans
le plus simple appareil, Il est enfermé à la maison d'arrêt et libéré le
10 janvier 1811, après qu'il ait retrouvé la raison(8).
Rentré à
Callac, il rechute peu après et est accusé de menaces de mort et de
tentative d'incendie envers son beau-frère Huitorel. Avec une hache, il se
porte au domicile de celui-ci à Restellou, il jure de lui donner la mort et
dans un de ses accès, il casse porte et fenêtres. Averti par les voisins
proches, le maire de Callac, Jérôme-Alexandre Guiot(9) demande au chef de la
gendarmerie de se rendre maître du forcené et de le conduire, en prime
abord, à la maison d'arrêt (10); puis le lendemain 25 janvier 1811, Claude
Quénechdu est transféré à la prison de Guingamp où il demeure jusqu'à la
fin du mois d'août de la même année.
Mais
laissons maintenant le soin à Claude de nous faire part, dans sa première
lettre, de son malheur et de tenter ainsi d'atténuer la triste impression
laissée par son attitude précédente.
Comme le
dit si bien M. Le Gorrec, secrétaire général de la préfecture, dans une
lettre adressée au ministre de la Justice le 13 septembre 1811: «Un homme
dans la force de l'âge, ayant un excellent fonds d'éducation et
d'instruction et joignant à cet avantage celui d'appartenir à une famille
honnête...»
Première
lettre (11)
«Éclairer
une faction, c'est la vaincre.» «Monseigneur, son excellence le Ministre de
la Justice,
«C'est un
père de famille, c'est encore un malheureux patriote qui jadis a eu l'honneur
de bien mériter de la patrie et de ses infortunés camarades, c'est un
capitaine de l'armée de l'Ouest, qui ose recourir à la source même de la
justice de Sa Majesté Impériale contre l'oppression de ses ennemis.
Ais-je
assez souffert, ais-je assez comprimé une juste récrimination? Il y a cinq
mois que privé de mes enfants, je traîne dans la prison ma pénible
existence. Une ligue s'est formée contre moi: cette ligue existe à Callac,
commune de mon habitation; elle se compose d'individus vingt fois plus
criminel que le malheureux Even (12). Elle a tout corrompu autour de moi, mes
domestiques, mes voisins, mon épouse. J'ai vécu environné de mille pièges,
de mille ennemis; j'ai depuis trois ans souffert mille morts par des tortures
réelles et par des calomnies...
Enfin, le
23 janvier dans la nuit, une nouvelle mine pratiquée pour ma perte fut jugée
mûre pour l'explosion.
Ma femme
et ma servante avaient de nuit déserté mes quatre enfants couchés au lit.
En rentrant chez moi à 9 h 30, j'ai la douleur de voir mon ménage ainsi
abandonné. J'étais encore percepteur. Je trouve le cas extraordinaire,
j'interroge ma fille âgée de douze ans, elle ne savait point ce que sa mère
et la servante étaient devenues.
Je crus
devoir aller les chercher, je m'adresse en les cherchant dans le village, chez
la sœur de ma femme où je soupçonne qu'elles étaient. Le maître du logis,
mon ennemi public et mon assassin, refuse d'ouvrir. Ce refus à ma juste
demande suffit dans la circonstance pour exciter ma colère, mon indignation.
Je donne dans la fenêtre et je brise d'un coup de bâton plusieurs carreaux
à vitres.
Après
cette triste vengeance de l'affront que je recevais et à l'injustice du
perfide receleur, je rentrais chez moi, me renfermant avec mes enfants dans
l'asile sacré.
J'eus la
bonté de laisser la porte ouverte, c'est-à-dire non barrée, croyant que les
femmes eussent rentré; vaine attente, je couchais seul avec mon fils et n'eus
pas même l'avantage de revoir le lendemain madame mon épouse. J'eus lieu de
croire qu'elle était allée avec son beau-frère délibérer avec le maire de
Callac. Environ les quatre heures de l'après-midi du 24 janvier, je vis, non
sans quelques surprises, entrer dans ma maison deux gendarmes. Ils déclarèrent
qu'ils étaient venus m'arrêter; requis de me faire connaître par ordre de
qui, ils firent quelques difficultés de le faire connaître; enfin ils exhibèrent
un ordre signé Guiot, maire, et au même moment, l'un d'eux nommé Delvallée
m'assomme à coup de crosse de fusil et me repousse de cette manière atroce
hors de ma maison. Il y a témoins suffisants de ce fait: les nommés Jacques
Le Coz et Toussaint Le Goff, l'aînée et la troisième de mes filles étaient
présents. Les deux gendarmes m'emmenèrent sans résistance à Callac où ils
me tinrent dans une chambre de la caserne, les menottes aux mains. Le
lendemain 25 janvier, ils m'emmenèrent à Guingamp, la chaîne par le corps
et attaché à mon cheval comme le plus scélérat de tous les hommes.
Incarcéré
à Guingamp, je patientais durant huit jours, sans recevoir nulle consolation
du dehors, à la seule exception que j'avais été interrogé. Au bout de huit
jours, la fièvre ou l'indignation me prit. J'accusais les autorités de
Guingamp d'injustice et de complicité avec les chouans de Callac. Je déchirais
mes vêtements en invoquant la justice du ciel et celle de l'Empereur, de
Bonaparte, le plus grand
des héros
que la vertu ait suscité d'entre les mortels.
Les
complices des Barr(13), des sans-souins (?), des Georges(14)... ont ainsi traité
Quénechdu (depuis septembre 1792, capitaine au 4e bataillon des Côtes-du-Nord
jusqu'au mois de Thermidor de l'An IV) ayant depuis son retour des armées
constamment exercé des fonctions publiques et sans reproche à l'égard de
ces fonctions.
Quénechdu
connu jadis avantageusement, ils l'ont assassiné, garrotté, la chaîne en
croix par la poitrine et par les épaules qui portèrent dignement les
honneurs de l'épaulette et qui font toujours les épaules d'un grenadier français.
Monseigneur,
j'ai depuis le mois de janvier manifesté mon vœu de voir mon fils encadré
aux jeunes soldats de mon Empereur. Mon fils est mon unique garçon, le don
doit être agréable à sa Majesté...
Je le
supplie par son propre fils et par le mien et par nos amis morts aux fossés
de 1 'honneur de l'Armée impériale, à genoux et devant Dieu, je le supplie
de vouloir connaître ces crimes qui me concernent et à rendre justice à un
opprimé dévoué à son service et que ces scélérats ne haïssent que parce
qu'ils n'ont pu le corrompre.
Monseigneur
Depuis
cinq mois bientôt complets, je souffre dans une prison, victime innocente du
despotisme du sieur Jérôme-Alexandre Guiot, maire de Callac.
Que
n'avais-je pus souffert précédemment de son infatigable persécution? Que ne
puis-je rendre le tableau de mes malheurs, sensible à mes frères d'armes,
aux Français, à notre Empereur.
Le paysan
du Danube fut écouté au Sénat romain; je suis un cultivateur assez connu
dans mon département et dans le Finistère, mes frères d'armes m'accordaient
du courage et de la bravoure. J'étais en 1788 premier en rhétorique du collège
de Quimper.
Si mon
Empereur m'accordait le de voir, il comblerait mes vœux.
J'aspire
encore à le servir, à mourir à son service en lui recommandant mon fils
par
l'effusion de mon sang au champ d'honneur.
Daignez
agréer, Monseigneur, l'assurance de mon dévouement et de ma parfaite
soumission aux lois et aux ordres du Gouvernement français.
J'ai
l'honneur d'être le citoyen Quénechdu,
cultivateur
né à Plusquellec le 7 mars 1769.
PS. En
1793, j'écrivis au gouvernement sur la descente en Angleterre. On ne s'est
avisé que depuis peu de vouloir me faire passer pour imbécile.
Cette
assertion est du sieur maire de Callac, qui avoue ingénument avoir oublié
son latin.
J'ai
servi sous les généraux Canclaux, Tribout, Bouret, Dufilo, Beaupuy,
Beauregard..
.»
Nous
voyons, par cette lettre, que Claude Quénechdu possède et manie sa seconde
langue avec une dialectique implacable, que serait à notre époque bien
incapable d'égaler
la plupart
de nos concitoyens; rappelons, pour bien situer l'événement, que nous somme
en 1811.
Le sieur Quénechdu
est interrogé le 6 avril et jugé une première fois le 1er mai 1811. Les
conclusions sont accablantes pour lui; il apparaît qu'il est loin de jouir de
la plénitude de sa raison. Mais quand on sait combien est ténu le lien qui délimite
la frontière de la normalité, on reste songeur sur les conclusions de ce
jugement.
Puis, sur
une déposition unanime de sept témoins dont nous ignorons les noms, ceux-ci
déclarent «que le sieur Quénechdu a donné dans divers lieux, circonstances
et époques, des marques évidentes de démence et de fureur, depuis les trois
dernières années, poussant le délire jusqu'à vouloir incendier sa maison,
d'attenter à ses jours et à ceux des personnes qui l'approchaient».
Le conseil
de famille, réuni sous la présidence du maire Jérôme-Alexandre Guiot, décide
unanimement de son interdiction d'exercer ses droits. Le jugement a lieu à
Guingamp, le 9 juillet 1815 dans lequel M. le substitut Beaudoin du tribunal
impérial considère que l'inculpé se trouve sous le coup de l'article 489 du
Code Napoléon: «Le majeur, qui est dans un état habituel d'imbécillité,
de démence et de fureur, doit être interdit, même lorsque cet état présente
des intervalles lucides...» Le jugement est prononcé sans que M. Laler, le défenseur
de Claude, ne plaide; il est condamné en ces termes: «Le tribunal a donné
de fait, faute de conclure et de plaider, que le sieur Quénechdu est interdit
de l'administration de ses biens et de sa personne. . .» Le conseil de
famille réuni nomme sa femme, Anne Huitorel, tutrice de la famille.
Claude Quénechdu
est conduit et enfermé à la maison de force de Saint- Méen en Ille-et -
Vilaine le 15 août 1811 d'où sa deuxième lettre aux propos plus décousus.
Deuxième
lettre (16)
«Saint-Méen,
le 16 août 1811
«Quénechdu,
capitaine du 4e bataillon des Côtes-du- Nord, «Percepteur de contributions
directes et cultivateur
«à Son
Excellence Monseigneur le Ministre de la Justice, Grand-Juge. «Monseigneur,
Pour que
notre auguste empereur et le gouvernement français aient connaissance à quel
point l'on peut abuser de la loi, il importe, je pense, que ma translation à
Paris soit ordonnée. J'arrive de hier dans cette maison de réclusion, de la
prison de Guingamp, département des Côtes-du-Nord. Le tribunal de cette
ville par jugement du 9 juillet m'ayant déclaré imbécile et interdit à
l'administration de ma personne et de mes biens, le juge de paix de Callac
indique [indigne'!"] n'avoir jamais obtenu cette place importante, m'a
fait transférer ici de concert avec une femme dont lui et le maire Jérôme-Alexandre
Guiot, ont égaré la confiance, corrompu l'innocence et perdu la réputation.
. .
Je m'arrête
par décence et pour abréger; plein de confiance dans le Ministre que
j'implore
pour la punition de grand crime. S'il faut un exemple à la France pour
apprendre à ne point abuser ces lois et de ses mœurs et des pouvoirs qui en
dérivent, il ne pourra jamais se présenter une plus belle occasion.
Je suis père
de quatre enfants dont un seul mâle; et j'ai été chassé de ma maison par
un infâme célibataire. Dans les premiers jours de mon emprisonnement,
sachant
les
desseins de mes ennemis, qui étaient de me priver de la liberté, après
avoir attenté à ma vie et à la douceur d'élever moi-même mes enfants et
surtout mon fils, j'offris ce cher enfant à mon Empereur, afin qu'il fût
imbu de bonne heure des principes qui doivent former un bon citoyen. .. et le
magistrat auquel ma lettre fut adressée, en argumenta comme d'une preuve non
équivoque de folie...
Ah! que
n'est-elle plus générale ma démence prétendue!... Le monstre qui vient
opiniâtrement me faire passer pour un furieux sire. Encore qu'il ait eu le
titre de législateur, il sait bien lui-même que le jour où il obtint le
nombre de voix nécessaire alors pour conférer ce titre, je méritais plus
que lui les suffrages de mes concitoyens.
II sait
bien, le fourbe et cauteleux Alexandre que, si je suis coupable d'un crime,
c'est de
n'avoir point d'ambition.
A ce
titre, Monseigneur, un cultivateur, un capitaine, un bon citoyen français, né
Breton,
peut-il raisonnablement espérer de voir les traits chéris de sa Majesté
Napoléon.
Puis-je
en avoir le bonheur et paraître digne de mourir pour son service? «Veuillez,
Monseigneur, lui soumettre une offre de service et les vœux ardents que mon
âme entretient constamment pour la Diuturnité (?) de son règne, pour le
service de ses armes et pour le bonheur de sa majesté, duquel dépend celui
de la famille
impériale,
de la France entière et la paix générale digne objet des travaux et de la méditation
du plus grand des hommes et du premier des Empereurs.
«Salut et
Fidélité inviolable,
«Le
citoyen Quénechdu Claude.
PS. Je
suis si convaincu de la nécessité d'obéir aux lois, que je me fais soumis
à l'exil que je n'ai point mérité mais j'ai tant de confiance en la bonté
de ma cause et dans mon innocence que je provoque le regard perçant de
l'Aigle.
C. Quénechdu
«(Olim Centurio)(17)
«J'ai cru
qu'à l'aide d'une machine l'on aurait pu mieux qu'avec des échelles parvenir
au sommet des remparts à Cadix et Gibraltar.
"Inspectura
domos, venturaque desupor urbi"
"Virgilius,
ancis "(18)
A la
lecture de cette deuxième lettre, nous remarquons que Claude Quénechdu
trouve, en la personne du maire de Callac, Jérôme-Alexandre Guiot, un
adversaire déclaré, coupable à ses yeux de son enfermement. Quelles qu'
aient été les relations entre les Quénechdu et les Guiot, Yves- Marie, le
frère de Jérôme, fut son compagnon d'armes en 1792 et Fleurie- Françoise,
leur sœur, témoin du mariage de Claude en 1797. L'écart social était
relativement important entre cette famille de paysans aisés de Plusquellec
et la famille de notables callacois, arrivés de Champagne en 1750 dans les
bagages des années royales.
Ces deux
lettres citées parviennent en septembre 1811 sur le bureau du ministre de
la Justice, le Grand Juge, comte de Massa. Celui-ci approuve la décision du
tribunal de Guingamp en date du 9 juillet et classe l'affaire.
Claude Quénechdu
reste enfermé à l'hospice de Saint- Méen de l'année 1811 au 4 décembre
1816, date à laquelle il décède à l'âge de 47 ans, oublié de tous.
Il
est à remarquer que le décès ne sera reporté sur le registre de Callac que
le 17 mai 1821, soit cinq ans après sa mort et comble d'ironie, l'officier d'état
civil n'est autre que Joseph- Laurent Even(19), qui avait succédé à Jérôme-Alexandre
Guiot dans les fonctions de maire en 1814, au décès de ce dernier. Il est à
noter que la profession mentionnée de Claude est celle de «propriétaire»...
Ainsi
se termine cet épisode qui agita, en son temps, la vie tranquille de la
petite ville de Callac.
Joseph Lohou (janvier 2015)
Cet
article est paru dans le n° 19 – 1/1993 de la revue d’Histoire et
d’Archéologie des cantons d’Argoat « Pays d'Argoat »-
Kerrroland – 22160 Maël-Pestivien- Téléphone : 02 96 45 75 05 E-Mail :
KERROLL@aol.com
Notes :
1.
Jean Meyer, Le notaire rural, p. 10. Les actes notariés, source de l'
«Histoire sociale du XVI e au XVII e siècle»,
actes
du colloque de Strasbourg, mars 1978, librairie Istra.
2.Le collège de Quimper était dirigé à cette époque par l'abbé Claude Le
Coz, qui fut élu évêque constitutionnel
d
'Ille-et- Vilaine le 28 février 1791 et député du même département à
l'Assemblée nationale le 10 avril 1791.
3.
Documents administratifs et judiciaires de la période révolutionnaire
(1790-1800), Archives départementales
des
Côtes-d'Armor, cote lL671.
4.
Mesures anciennes: 1 pied = 33 cm, 1 pouce = 27,7 mm, 1 ligne = 2,25 mm.
5.
Archives municipales de Guingamp, VI - Dl.
6.
Archives militaires, château de Vincennes, cote XW 26, 27, 28. 7. Archives
nationales, Caran, Paris. Élections, cote F/lcIIII/CdN.
7. Archives nationales, Caran, Paris. Élections, cote
F/lcIIII/CdN.
8.
Archives nationales, Caran, Paris. Justice, cote BB/18/255 (A4-1028).
9.
Jérôme-Alexandre Guiot (Botmel- Callac, 26 janvier 1760), fils de Nicolas
Guiot, originaire de Soissons- en Champagne, et de Marie- Yvonne Bossard.
Avocat, puis notaire, élu député au Conseil des Cinq-Cents le 26
Germinal
de l'An VI. Maire de Callac de 1803 à 1814. Célibataire et grand acheteur de
biens nationaux.
10.
La maison d'arrêt de Callac se trouvait à cette époque sur Le Martray
(place du Centre), attenante au cabinet des poids où elle faisait partie des
Halles.
11.
Cf. note 8
12.
Joseph- Laurent Even (Botmel- Callac, 10 août 1765), maire de Callac de 1814 à
1828, compromis dans le complot de Georges Cadoudal contre Napoléon en 1804,
acquitté mais placé en résidence surveillée à Bar- sur Aube de 1804 à
1812.
13.
Jean-François Le Peige Dorsenne dit «Debar» (Concarneau, 1761), chef chouan
tué à l'île d'Houat en novembre 1812.
14.
Georges Cadoudal (Kerléano [56], 1er janvier 1771), chef chouan, organisateur
d'un complot contre Napoléon avec Moreau et Pichegru en 1803. Il fut arrêté
et guillotiné en 1804.
15.
AD22, Minutes et Jugements, greffe civil de Guingamp. Justice, cote 3U-2/23.
16.
Cf. note 8
17.
Olim Centurio, locution latine : « Ancien centurion ».
18.
«Virgile», Énéide, livre II, vers 47. Jean Perret, éd. Les Belles
Lettres, Paris, 1977, p.40. "Pour épier nos
maisons
et pénétrer d'en haut, en notre ville...» Lacoon s'inquiète et demande aux
Troyens de se méfier de ce stratagème (cheval de Troie).