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La seigneurie est cette forme de propriété immobilière qui unissait la
" terre ou domaine ", que le seigneur se réservait, le fief et les
censives, terres qu'il concédait à charge de services et de redevances, les
uns nobles pour le fief, les autres roturiers pour les censives, la justice ou
seigneurie publique avec la puissance de commandement et la police qui en découlent.
La propriété d'une seigneurie donne une dignité sociale, indépendante
de la noblesse.
Sieur
est un titre d'honneur dont même un bourgeois peut qualifier et accompagner son
nom. Les bourgeois peuvent en effet, par tolérance, acquérir des seigneuries,
à condition d'une indemnité au roi, le droit de franc-fief, une année sur
vingt du revenu.
Cette
forme de propriété a duré juridiquement en France jusqu'à la révolution.
D'une part, même juridiquement, les seigneuries, si elles étaient
semblables, n'étaient pas identiques mais présentaient des différences selon
les provinces et selon les " pays ".
Ces
différences ne sont pas toutes bien connues.
Une
seigneurie constituait une unité vivante, une communauté avec des liens réels,
réciproques, de protection, d'aide, d'une part, de services de l'autre, une
participation commune au seigneur et à ses sujets, sous des formes diverses, à
l'exploitation du sol, une union, au moins dans les cas graves, contre les
autres pouvoirs, le roi et ses représentants, gouverneur, intendant; officiers
royaux, le duc, le comte, les états provinciaux là où subsistaient, les
villes closes.
Ces liens sont de nature à changer toute la vie des campagnes et des
petits bourgs, des petites villes ouvertes, selon qu'ils existent ou sont
absents, qu'ils sont forts ou faibles, qu'ils se manifestent fréquemment ou
rarement.
Ils
sont d'ailleurs difficiles à déceler car la documentation qui nous reste,
hommages, aveux, dénombrements, terriers, cueilloirs, baux, comptabilités,
procédures, registres de justice, est de nature essentiellement juridique et
concerne les biens plus que les personnes, leurs relations affectives et leurs
sentiments.
Tel
manoir est entouré de jardins, clos de murs, de bois, d'environ deux hectares
de prés. Il inclut colombier et garenne. De lui dépendent à proximité une métairie,
un moulin, quelques exploitations ou domaines du seigneur. Un peu plus loin,
parfois dans d'autres paroisses en relèvent quelques fiefs roturiers ou
censives.
Le
seigneur exerce sur les paysans une autorité, en reçoit des services, des corvées
domaniales, joue un rôle prééminent dans l'assemblée de la communauté
d'habitants, jouit de droits honorifiques à l'église. Mais il n'exerce pas de
pouvoir de justice, ni les pouvoirs de commandement et de police qui en
découlent. Il
est sans doute plus qu'un simple propriétaire, mais il n'est pas un seigneur,
bien que cette appellation lui soit parfois décernée.
Ces seigneuries coexistent avec des seigneuries véritables, grandes
seigneuries laïques, petites seigneuries laïques, seigneuries d'églises,
grandes et petites.
L'endettement
des familles par les guerres, la vie de Cour, les révoltes contre le Roi, le
recul des pouvoirs de ces princes et de ces Grands, qui ne peuvent plus faire
fonctionner leur grandes seigneuries comme des petits États, malgré leurs
efforts, les contraignent à afféager leurs domaines, à démembrer, puis à
vendre totalement leurs grandes seigneuries laïques, à des financiers puis à
des robins. Les anciens lignages cèdent la place à une noblesse de fonction et
de service.
Sous
l'autorité royale, les petites seigneuries laïques sont devenues plus
nombreuses, tantôt par création royale, tantôt par usurpation. A l'instar des
abbayes, elles ont conservé une partie du domaine seigneurial et se sont arrogé
des prérogatives nouvelles. Les seigneuries sont devenues plus nombreuses, plus
vastes, mieux équipées. Elles sont devenues un élément essentiel de
l'activité économique.
Ainsi,
prises entre l'accroissement de la puissance de l'État et celui de l'importance
des sieurs, les grandes seigneuries et la féodalité se sont affaissées entre
les guerres de religion et les débuts du gouvernement personnel de Louis XIV.
L'État
a favorisé indirectement le développement du type de propriété de la
sieurie, un type de propriété qui commençait à se rapprocher de la propriété
du XIX° siècle, et il a bénéficié de ce développement par
l'affaiblissement territorial, économique et social des Princes et des Grands,
dont les liens de dépendance à l'égard de l'État s'accroissent.
Les relations des hommes entre eux dans les seigneuries et les sieuries
ne présentent pas une coupure unique entre dominants et dominés. En effet, il
s'agit d'une cascade de dépendances. Chaque seigneur, chaque sieur, a des dépendants,
mais il est à son tour un dépendant par rapport à un seigneur supérieur à
qui il doit, lui aussi, des services et des redevances.
D'autre
part, l'autorité du seigneur est un service public.
Enfin,
tout seigneur, tout sieur a des devoirs de protection.
L'auteur
montre bien l'importance des justices seigneuriales dans la vie quotidienne des
habitants. En général, il y en avait une par paroisse. La justice
seigneuriale, très proche des justiciables, avait souvent un rôle comparable
à celui des juges de paix du XIX° et du XX° siècles, ces juges supprimés
après la Deuxième Guerre Mondiale et dont presque tout le monde aujourd'hui
regrette la disparition. Il faut des juges, à la dispositions des plaideurs,
aux procédures simples et peu onéreuses pour régler les petites causes de la
vie quotidienne.
En principe le seigneur n'est pas juge et partie. Il peut utiliser sa
justice pour réclamer des aveux des terres en censive ou en fief, pour réclamer
le paiement des lods et ventes, aux mutations et celui des autres redevances, si
elles ne sont pas contestées par le débiteur.
Mais
si le montant ou la redevance elle-même, est contesté, alors c'est la justice
supérieure qui doit connaître du litige. Naturellement, il pouvait être
difficile au dépendant d'en appeler au juge supérieur, mais il en avait la
possibilité.
Si les métayers étaient lourdement chargés, les domaniers, dans
l'ensemble, ne devaient qu'un convenant inférieur à la valeur locative, ainsi
des domaniers louaient leur domaine congéable à d'autres paysans avec bénéfice.
Les propriétaires ont peu employé le congément. Les expulsions de domaniers
coupables d'infraction ont été très rares. Le congément, opération complexe
semble plutôt avoir servi paradoxalement à la transmission des édifices dans
la famille, en écartant les étrangers et à maintenir la même famille sur la
même terre pendant plusieurs générations.
L'auteur
fait sienne l'opinion d'Ernest Renan, voyant les nobles bretons, comme " étrangers
au capitalisme, réfractaires à la fortune, ne voulant tirer de la terre que le
fruit convenu par l'usage ".
La seigneurie et la sieurie étaient encore des institutions importantes
comme en témoigne la masse des archives seigneuriales. Elles ne comptent plus
pour la défense et la sécurité, la perception de l'impôt, le commerce,
l'activité maritime.
Ce
sont d'autres institutions qui interviennent alors, les communautés, les
justices royales, la famille et l'Église. Sur la vie agraire, ce sont les sieurs
qui ont l'influence, non les seigneurs.
Finalement,
la seigneurie jouit un rôle proportionnellement très limité.
L'auteur a admirablement dénoué un écheveau de relations complexes et
confuses.
Sa
distinction des sieuries et des seigneuries, que l'on s'était obstiné à
confondre, est fondamentale. Il nous montre combien la persistance des termes et
des dénominations peut masquer, au fil des temps, des changements profonds et décisifs.
Il nous apporte une raison de plus de nous défier des grandes théories
simplificatrices.
Extraits de la préface rédigée par Roland Mousnier, membre de
l'Institut, concernant le
livre de Jean Gallet,
"La
seigneurie bretonne 1450-1680 : l’exemple du vannetais, Jean Gallet,
1983. Vannes et sa région : ville et campagne dans la France du XVIIIe siècle,
..."
Publication
de la Sorbonne. B.P.I.Centre Pompidou(944-51-Gall)
J.Lohou (Adh.n°1057)
Article paru dans Généalogie22, bulletin du Centre Généalogique des Côtes d'Armor http://www.genealogie22.org