Les
meuniers à Plusquellec
Le jour où les hommes découvrirent qu’en écrasant le
grain, ils obtiendraient une farine grossière propre à servir à leur alimentation
(bouillie, galette et pain), on donna l’essor à une nouvelle industrie qui se
perfectionna au cours des siècles. A l’origine, nos lointains ancêtres eurent
recours à un procédé rudimentaire deux pièces appropriées broyaient le grain,
l’une plate faisant office de moulin, l’autre arrondie jouant le rôle de pilon
ou concasseur. L’expérience et le raisonnement aidant, les pièces plates
furent remplacées par des blocs creusés par frottement, dont la cavité
recevait une plus grosse quantité de blé ou de farine.
Les moulins à eau ne commencèrent à se répandre à Rome que vers la fin du lVè siècle. De l’Italie, ils passèrent en France au commencement de la Monarchie. Dans notre Bretagne, il possèdent sans doute une très haute antiquité, que l’on ne peut déterminer réellement faute de documents, mais le cartulaire de Landévennec (1047) signale leur existence. Propriété des seigneurs qui seuls avaient le droit d’en construire sur leurs fiefs, les moulins à eau se multiplièrent à partir du Xllè siècle. Au Moyen-Age, la plupart des moulins à eau sont d'origine seigneuriale ou dépendent de monastères, qui doivent nourrir une importante population. En effet, il faut disposer juridiquement du cours d'eau et pouvoir faire face aux frais de construction et d'entretien. Les paysans des alentours semblent trouver commode de venir y moudre leur blé. Cependant, à partir du X è siècle, les seigneurs, usant de leurs pouvoirs de commandement (appelés le ban ), instaurent à leur profit certains monopoles.
Le plus ancien et le plus répandu de tous est celui du moulin banal : tout le blé récolté dans un certain périmètre du moulin, doit y être amené et moulu contre redevance. Cette redevance s'appelle le droit de banalité, reversée d'une part au maître de l'eau, le seigneur et au maître des meules , le meunier. Mais les meules domestiques, à mains, résistèrent longtemps à ce monopole. Tous les vassaux et tenanciers sont contraints de faire moudre leurs grains au moulin du seigneur, affermé à un meunier, dans une distance autour du moulin appelée sa banlieue qui mesurait près de 3 km, qui furent portés à 4 km 800. Le droit de mouture s’élevait à peu près au 16e de la farine moulue. On dénombra des moulins qui fonctionnèrent pendant plusieurs siècles. Les moulins à vent qui furent les plus modernes ont été les premiers à disparaître.
En France, en 1809-1810,
la proportion moyenne des moulins est de 1 pour 300 habitants environ avec
de d'importantes disparités. La France du nord est le pays du moulin à roue
verticale avec une exception régionale : le Finistère. Celui-ci présente
autant de moulins horizontaux que verticaux. Deux raisons à cette présence de
moulins horizontaux: le nombre important de petits ruisseaux dans le Massif
armoricain est favorable à l'installation de petits moulins à roue horizontale
pour des hameaux ou des familles. D'autre part, le Finistère est une région de
pêche et de commerce, et il se pourrait que le moulin horizontal soit issu
d'une longue tradition attachée aux habitudes de construction des premières
populations.
A la Révolution, la vente des biens de l'église et des nobles permet aux meuniers assez aisés de racheter leurs moulins à l'État. Ils firent partie de la classe aisée des commerçants et jouaient un rôle très important dans la société rurale, ils étaient forts décriés et on leur reprochait bien des défauts. Ainsi, on les disait intrigants, coureurs de jupons et surtout voleurs. Pour prix de mouture, ils retenaient 12 % sur le grain, 10 livres pour le travail, 2 livres pour le déchet. Ce prélèvement en nature s’appelait “ gob ar zac’h ”.
On disait même que certains humectaient la farine livrée pour en rendre moins. La légende fait la synthèse de tous ces griefs et nous dit qu'il n'y a qu'un seul meunier au Paradis. Encore y est-il entré par ruse...
De plus, comme les meuniers recevaient souvent des clientes venant chercher la farine ou le son, on les considère tous comme des séducteurs. "Tandis que la farine tombe dans le sac, le meunier embrasse la fille". Peut-être faut-il voir là l'origine des "dynasties" de meuniers dont on trouve parents et alliés dans toute une série de moulins de la même région ?
Les paysans ont toujours considéré d’un œil torve le geste des meuniers “ gobant " dans leur sac et on accusait facilement le meunier d’avoir la main lourde, d’où sa réputation de “filou ” popularisée dans la tradition et la légende, comme nous le découvrons dans les dictons populaires suivants :
Ne euz hardizoc'h eget roched miliner
Rag peb mintin he pak eul laer !
(Il n'y a rien de si hardi que la chemise
d'un meunier
Car chaque matin elle prend au cou un voleur !)
" Meunier larron, voleur de son pour son cochon
Voleur de blé, c'est son métier "
"Les seigneurs afferment leurs moulins
ce qu'ils veulent
Les meuniers, de leur côté, prennent
ce qu'ils veulent "
Eur miliner laer ar bleud
A daoned beteg e veug
( le meunier voleur de farine
Sera damné jusqu'au pouce)
Pa ra ar vilin un
dro-grenn
E vez yod pe grampouezhenn
Pa chom ar vilin a-sav
Ne vez na yod na bara.
(Quand le moulin fait un tour complet il y a bouillie ou crêpe,
quand il s'arrête in n'y a ni bouillie ni pain.)
Miliner gwenn e veg
A laer ar bleud, a laer an ed,
Hag o gounit ne ra ket.
(Meunier blanc sa bouche vole la farine vole le blé,
mais les gagner il ne fait pas.)
N'eus ket hardishoc'h
eget roched ur miliner
Rak bep mintin e pak ul laer.
(Il n'y a pas plus hardie que la chemise d'un meunier
car chaque matin elle attrape un voleur.)
"Et nous n'entendrons plus sur le bord de ton onde
Les refrains que chantait le dernier des meuniers
Quant ton flot jaillissait dans une folle ronde
Et reprenait son cours sur le sable doré"...
Frédéric Le Bonhomme, poète de l'Argoat
Le meunier sur son cheval( O.Perrin)
Pour rire un peu!
Gens
du
moulin
"Lorsqu'on
entre sans difficulté et sans cérémonie, en un lieu normalement privé,
voire gardé par des sbires, les appartements d'un personnage important, ou
les locaux d'une administration sourcilleuse qui exige habituellement un
justificatif de visite, on dit que l'on est entré là « comme dans un moulin
». Certes, mais pourquoi précisément un moulin, entre tous les établissements
d'artisanat ou de commerce? Le moulin, qu'a-t-il de spécifique?
C'est la question que m'a posée
un lecteur parisien intrigué par cette comparaison anodine. La locution,
prononcée par l'habitude, est, en effet, le reflet d'un mode d'existence qui
a disparu de nos villages français.
Elle
fait allusion à des manières de vivre à la campagne dont les dernières
traces se sont effacées avec la meunerie, tout de suite après la Seconde
Guerre mondiale. il faut savoir que les moulins, jadis - qu'ils fussent à vent juchés
sur une butte, ou bien à eau, blottis au bord d'un ruisseau, étaient des
endroits très fréquentés. Chaque famille avait pour usage de cuire son pain
avec sa propre récolte de blé, et devait donc moudre le grain assez régulièrement
afin de renouveler sa provision de farine.
D'autre part,
les marques de civilité dans les temps anciens étaient incomparablement plus
protocolaires que de nos jours; on avait coutume, par exemple en ville,
d'envoyer un carton quelques jours à l'avance pour prévenir les personnes à
qui l'on voulait rendre visite. A la campagne, on n'entrait chez les gens
qu'après avoir été longuement prié de le faire par le maître ou la maîtresse
de maison. Encore fallait-il que le visiteur fût remarqué: que l'on entendît
ses appels ou les coups frappés sur la porte...
Mais le moulin, entre tous les lieux
de passage, était celui où régnait en permanence un vacarme engendré par
l'outil: la meule, bien sûr, mais surtout le fameux tic-tac des contes et légendes.
Ce bruit particulier qui résonnait dans le local était produit par le «
babillard », une pièce de bois crénelée qui tape sur l'auget pour faire
descendre le grain de la trémie, et couler sous la meule qui le broie.
Ajoutons le grincement des axes et des pignons de bois pour le moulin à vent,
la chute de l'eau sur
la roue à aubes pour l'autre, et l'on comprendra que les civilités de la porte n'étaient
pas de mises au moulin. il était impossible de se faire entendre du meunier
avant d'être en mesure
de lui crier aux oreilles! Dans ces conditions, la seule
chose à faire était de franchir le seuil sans plus de formalité que, ma
foi, au cabaret! C'est pour cela qu'entrer quelque part « comme dans un
moulin », c'est tout simplement entrer sans frapper - ce qui est désinvolte".
Extrait
d'un article de Claude Duneton paru dans le Figaro du 23 septembre 2004
_.
Plusquellec comptait moins de cinq
moulins au siècle dernier, citons, dans l’ordre d’importance le moulin de
Coatleau, « milin Coatlo », le moulin de la Boissière, « milin
Beuzit », le moulin des Prés, « milin ar Prat ». Ces trois
moulins se trouvent dans la vallée de l’Hyère, frontière naturelle entre
Plusquellec et Duault et seule rivière de la commune. Un quatrième moulin, le
moulin du Pont, « milin ar Pont », alimenté lui par le ruisseau de
l’étang de Kerthomas, se situait près du village de Trébréhan. Il est actuellement
en ruines.
Le dernier moulin en service dans les années soixante dix était le moulin de Coatleau, tenu par la famille Diraison. Citons quelques noms de meuniers répertoriés dans les divers recensements : en 1876, Jérôme Le Buannec, originaire du Finistère affermait le moulin de Coatleau, avec son épouse Marie Victoire Lohou, accompagnée de sa mère Marie Anne Le Coz et de son frère Guillaume qui faisait office de garçon meunier. En 1911, Jean Chaperon ou Chapron (°Plusquellec 1876) tenait le moulin de Coatleau, précédemment tenu par Joseph Henry, maire de Plusquellec de 1844 à 1848. Egalement à cette époque, un autre Henry, le Jean-Marie, affermait le moulin des Prés, Pierre Fercoq, celui de la Boissière et Alain Baudouin celui de la de Kerthomas.
Voir
Productions des moulins( Statistiques Industrielles
des Côtes du Nord).
Le moulin de Coatleau